La Belgique Fédérale – Un accouchement douloureux
23/11/2010
PDF_20101123 (193.9 KiB)
Monsieur le Député-Bourgmestre,
Mesdames, Messieurs,
Dames en heren,
Wij zijn in een immersatieschool, dan kunnen wij misschien een beetje Nederlands praten, doch zullen wij dit niet te lang doen.
C’est pour moi un très grand honneur et un grand plaisir d’être ici ce soir. J’ai beaucoup apprécié votre invitation et aussi le contexte que vous m’avez décrit dans votre lettre d’invitation. En plus, j’aime venir ici, parce que vous vivez dans une région frontalière. C’est un sujet dont je m’occupe beaucoup et avec tout mon cœur. Je suis originaire d’une région frontalière, l’Euregio Meuse-Rhin. Ici, vous construisez une belle région transfrontalière métropolitaine polycentrique ! C’est déjà une notion, c’est tout un programme. Quand on va un peu dans le détail, on découvrira beaucoup de parallèles entre cette région et la mienne. Il y a en tout cas un parallèle qui est vraiment intéressant : quand on est en réunion avec les voisins (chez vous les Français, chez nous les Allemands et les Néerlandais), il devient subitement possible pour les Wallons d’être en coopération très constructive avec les Flamands. C’est beaucoup plus facile de s’entendre quand on est ensemble à l’Euregio Meuse-Rhin que quand on est quelque part en Belgique pour discuter du devenir de notre pays. Pour le peu que j’ai des échos de ce qui se passe ici, ce n’est pas très différent. J’aime découvrir ces régions frontalières parce que j’ai le grand honneur, depuis maintenant quelques mois, d’être à la présidence de l’ARFE (Association des régions frontalières européennes). Cette association regroupe toutes les régions frontalières du Conseil de l’Europe avec ses 47 Etats. J’y découvre chaque fois que j’en ai l’occasion une nouvelle réalité. Si l’on veut découvrir l’Europe, il n’y a rien de mieux que d’aller à sa rencontre dans les régions frontalières. Ce que l’on y vit est très significatif. Ce qui marche en Europe, doit marcher dans les régions frontalières et ce qui ne marche pas en Europe, se découvre tout de suite dans les régions frontalières. C’est pourquoi je suis très heureux d’être ici. Nous vivons des deux côtés de la Belgique, à l’est comme à l’ouest, quelque chose de commun qui est très important. Il y a quelques jours, le 11 novembre, j’étais invité à Bad Muskau, petite ville située à la frontière germano-polonaise-tchèque où se réunissaient toutes les Euregios de ce côté de l’Allemagne, de la Pologne et du nord de la République Tchèque pour discuter des perspectives de la coopération transfrontalière à un moment très crucial pour l’intégration européenne. J’y ai eu le même sentiment de vécu commun comme je l’ai aujourd’hui chez vous.
Mesdames,
Messieurs,
Assez d’introductions. Il faut en venir au vif du sujet que vous avez intitulé : « L’avenir de la Belgique ». C’est un sujet vraiment très porteur. On peut raconter tout et le contraire de l’avenir de la Belgique. Quel est l’avenir pour la Belgique ? La Belgique, a-t-elle un avenir ? Comment cela se passera-t-il ?
L’avenir de la Belgique j’y crois vraiment, très fondamentalement. J’ai participé récemment à Berlin à un grand débat organisé par la « La Fondation Nationale », sur le thème « les identités nationales dans une Europe qui se rapproche ». Cette fondation a été créée par l’ancien Chancelier Helmut Schmidt et le Président de la République Fédérale d’Allemagne en fonction est toujours le Président d’honneur. La première question qui me fut posée : « Quelle est l’identité belge ? » Ma réponse : « Vous me posez vraiment une question très difficile. » Il y a encore deux questions plus difficiles : « Qu’allez vous faire quand la Belgique va disparaître ? » La plus difficile c’est évidemment : « Comment parle-t-on belge ? » Cette dernière question vous est posée très régulièrement quand vous êtes à l’étranger. Plus vous êtes loin, moins on connaît la Belgique et les gens attendent une réponse à cette question. Vous le savez, ce n’est pas très simple. Vous pouvez alors expliquer que parler « belge » n’existe pas. Il y a bien des blagues belges, mais il faut les raconter soit en allemand, en néerlandais ou en français. Quand on vous pose la question : « C’est quoi la Belgique ? », il ne suffit pas de ne parler que de frites, de bières fortes et du chocolat. Il faut trouver quelque chose qui caractérise la Belgique. Depuis un certain temps, j’ai choisi pour ce genre de question une réponse un peu spécifique en disant : « Etre belge, c’est être le champion du compromis ! »
Je crois fondamentalement que c’est cela qui nous caractérise. Nous sommes capables de faire les compromis les plus extraordinaires. On est arrivé à faire ce que personne n’a encore su faire jusqu’à présent en mathématique : La quadrature du cercle !
Je vais vous parler de l’avenir de la Belgique d’une façon un peu particulière. Pour vous révéler un peu la teneur de ce dont je vais vous entretenir, j’ai un peu modifié le titre en ajoutant à l’avenir de la Belgique une image forte, celle d’un accouchement douloureux. Pour moi, la Belgique fédérale est vraiment un accouchement douloureux. Je ne vais pas pousser trop loin la comparaison, parce que je ne suis ni médecin, ni psychologue, mais vous allez voir très rapidement ce que je veux dire par là.
Je veux décrire ce phénomène extraordinaire qu’est la transformation de la Belgique d’un Etat unitaire décentralisé vers un Etat fédéral en vous livrant un regard un peu original, peut-être un peu insolite aussi, en tout cas très particulier, celui d’un germanophone de Belgique. Les germanophones de Belgique ont quelques particularités. C’est vrai, ce sont les « derniers belges ». Pourquoi ? Il y a exactement 90 ans que les Cantons de l’Est ont été détachés de l’Allemagne pour être rattachés à la Belgique par le Traité de Versailles. Sans ce Traité de Versailles, nous serions maintenant des habitants d’une petite région rurale à environ 700 kilomètres à l’ouest de Berlin, derrière Aix-la-Chapelle et Montjoie. Les Germanophones n’ont pas choisi ce rattachement. Au début et pendant pas mal de temps, ce rattachement a présenté des aspects très douloureux. Je prends toujours l’exemple de mon grand père, un agriculteur très attaché à sa terre, terre qu’il n’a presque jamais quittée. Durant sa vie, il a changé quatre fois de nationalité! Il est né Allemand, puis devenu Belge, suite à l’annexion de la Belgique par Hitler redevenu Allemand, puis de nouveau Belge. Quand j’étais jeune, il m’a toujours dit : « Fait ce que tu veux de ta vie, mais surtout ne fait pas de la politique ! » Il est vrai, je n’ai pas tout à fait suivi son conseil. L’histoire de la Communauté germanophone au siècle dernier a été quelque chose de très particulier. Puisque tout a commencé avec le Traité de Versailles en 1920, nous, les belges germanophones, nous pouvons dire que nous sommes les derniers Belges. L’espoir que nous avons, c’est de ne pas vraiment le devenir un jour en restant les seuls Belges.
C’est le regard d’un germanophone que je vais vous livrer. Un regard pas tout à fait neutre, ni nécessairement objectif, mais un peu différent. Un Germanophone vous raconte la Belgique autrement qu’un Wallon ou un Flamand. J’ai pu en faire l’expérience en 2008 quand Monsieur Pol Van den Driessche m’a invité à faire le discours principal lors de la fête flamande à Bruges. C’était un grand défi parce qu’il fallait dire des choses – j’ai parlé en néerlandais et en allemand – qui correspondaient à mes convictions, mais qui étaient aussi compréhensibles par les Flamands et qui avaient quelque chose à faire avec le devenir de la Belgique.
Les Germanophones sont un peu marginalisés dans le débat. Bien que ce ne soit pas tout à fait exact, ils sont un peu avec un pied dedans et un pied dehors. En fait, nous sommes avec les deux pieds dedans, mais comme nous ne sommes pas ceux qui ont une influence décisive sur la marche des choses, comme nous ne sommes pas un élément de pouvoir en termes de négociation sur le devenir de la Belgique, nous subissons un peu les conséquences et nous en profitons. On doit être un observateur très averti et on doit surtout avoir la capacité d’anticipation et de réaction rapide. C’est un peu cela que la vie politique m’a appris à faire. Quand je suis dans ce genre de réunion, comme par exemple lors des longues nuits des négociations du Lambermont, j’écoute très longtemps et très attentivement. Puis, je choisi le bon moment pour intervenir et je sais très bien que ce n’est pas au début, ni au milieu, c’est vraiment quand tout le monde en a ras le bol et veut rentrer à la maison qu’il faut traiter le cas des germanophones. Il faut surtout anticiper. Dans tout ce que je vais vous dire, vous allez voir que j’ai une vision très précise de cette anticipation. J’ai expliqué cette vision des choses en 1992 lors d’un congrès du PS où j’ai parlé de la Communauté germanophone en parlant déjà d’une Belgique à quatre.
On n’est pas partie prenante au conflit ni arbitre. Comme vous le savez bien, si deux se disputent et vous êtes le petit troisième, il ne faut pas commencer à vouloir faire le malin et dire non à ceci, non à cela, parce qu’ils finiront par se mettre d’accord et régleront alors votre sort en deux minutes. Les germanophones ne sont pas neutres parce qu’ils ont des intérêts spécifiques dans ce débat, ils essaient de faire le nécessaire pour que ces intérêts ne soient pas oubliés ou bien négligés. On joue un petit rôle dans cet orchestre. Si musique il y a, elle n’est pas toujours harmonieuse et les germanophones ne jouent pas le premier violon, mais juste le triangle. Le joueur de triangle n’intervient que très rarement. Il fait son bruit. Quand il le fait au bon moment, personne ne se rend compte. Il peut vraiment ennuyer tout le monde quand il intervient à un moment où il y a une pause ou quand il fait son bruit sans respecter exactement les notes qui lui ont été préparées. C’est un peu ça notre rôle. Parfois, on fait encore autre chose. Comme nous connaissons l’allemand, nous nous occupons beaucoup des pays germanophones d’Europe. C’est une valeur ajoutée pour toute la Belgique et surtout pour nous même. Nous suivons de très prêt ce qui se passe dans des Etats comme la République Fédérale d’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, qui sont les seuls vrais pays fédéraux qui existent actuellement en Europe. Parfois, on y découvre des choses intéressantes qu’on pourrait analyser à fond avant de raconter n’importe quoi et le contraire sur certains aspects du fédéralisme. Dans ces pays, nous avons des fédéralismes qui fonctionnent, qui existent et qui ont aussi besoin d’un renouvellement. Il n’y a aucun problème en Belgique, aucune solution, même en matière de loi de financement par exemple, qui n’a pas déjà fait, dans un de ces trois pays, l’objet d’un grand débat ou même l’objet de l’une ou l’autre réforme. Je ne dis pas qu’il faut aller voir pour reprendre 1:1, mais aller voir comment les autres ont fait, parfois ce n’est pas tout à fait perdre son temps. Je me souviens qu’il y a quelques mois, un des acteurs des négociations actuelles me téléphonait le matin, en me demandant : « Peux-tu me faire une note d’une demi-page sur le financement des Länder allemands ? » Je lui ai répondu : « Avec toute la volonté du monde, en une demi-page, on ne peut pas expliquer une histoire aussi compliquée. » J’ai rédigé une note de quelques pages qui a prouvé qu’il est vraiment très intéressant d’aller voir comment les choses se passent ailleurs.
C’est vrai que les Etats fédéraux les plus anciens en Europe sont tous germanophones ou bien majoritairement germanophones comme la Suisse avec ses quatre langues nationales: L’allemand, le français, l’italien et le romanche.
Je veux maintenant analyser quelque chose qui est peu banal dans la vie des Etats de ce monde, à savoir la transformation d’un Etat. La Belgique a été créée par sécession, il ne faut pas l’oublier. Le début de la Belgique n’est pas sans particularité. La Belgique a fait sécession par rapport aux Pays-Bas et la communauté des Etats a reconnu ce nouvel Etat. Cet Etat a été créé comme Etat unitaire décentralisé avec neuf provinces. Puis, il a évolué vers un Etat fédéral. On peut dire aujourd’hui que la Belgique est un vrai Etat fédéral, mais encore un Etat fédéral en évolution. Mais c’est un Etat fédéral très particulier. Il est le résultat d’un mouvement dissociatif. C’est la séparation qui est à la base de cette réorganisation et pas le contraire. La Suisse, en allemand la « Schweizerische Eidgenossenschaft », est l’Etat fédéral par excellence, et s’appelle en français « la Confédération suisse ». Alors, quand on discute entre Flamands et Wallons sur le « confédéral » et le « fédéral », c’est de la sémantique. Je prends toujours l’exemple de la Suisse pour relativiser ce genre de chose. En Suisse, des Etats indépendants sont venus se réunir pour former un Etat fédéral. Chez nous, c’est le contraire ! C’est très important.
Mais l’élément le plus important dans les forces centrifuges de notre pays, fait unique au monde, c’est qu’il n’y a plus de partis nationaux. II parait que seul l’Inde fonctionne d’une manière identique, mais elle est un peu plus grande que la Belgique… Quand il n’y a plus de partis nationaux, le siège du pouvoir se retrouve dans les régions. La séparation des grands partis en Belgique est antérieure à la transformation en Etat fédéral et a eu lieu à l’époque de l’Etat unitaire, en tout cas pour les sociaux-chrétiens, les libéraux et les socialistes. Beaucoup de gens à l’étranger ne comprennent pas ce qui se passe en Belgique, ils ne peuvent pas s’imaginer qu’un pays ne puisse pas avoir de partis nationaux. C’est la première chose que j’explique aux étrangers. Pour comprendre la Belgique, il faut d’abord le savoir. Alors on a déjà compris beaucoup.
Puis, il y a une autre particularité au fédéralisme belge, c’est ce qu’on peut appeler la structure bicéphale et par ailleurs asymétrique du niveau des entités fédérées. Le niveau des pouvoirs fédérés, c’est le niveau en dessous de l’Etat. Chez nous, ce sont les Communautés et les Régions. Vous ne trouvez nulle part dans le monde un Etat fédéral qui a deux types de collectivités territoriales l’un à côté de l’autre. En Allemagne, vous avez les Länder, au Canada les provinces, aux Etats-Unis les états et en Suisse les cantons. Vous trouvez tout genre de noms, mais vous ne trouvez jamais deux types d’entités différentes au même niveau. Faire comprendre cela à des étrangers, c’est très compliqué, aux belges aussi, mais ce n’est pas tout ! Ce niveau n’est pas uniquement bicéphal, il est en plus asymétrique parce que la structure et le rôle des Communautés et Régions ne sont pas les mêmes du côté flamand et du côté francophone ! Une bicéphalité asymétrique, c’est vraiment une boîte noire. Pourtant, c’est cette boîte noire qui est le vrai secret de la genèse du fédéralisme belge.
Pourquoi a-t-on imaginé ce truc très compliqué ? C’est vraiment la « formule 1 » de l’imagination et de la créativité institutionnelle. L’origine de tout cela, la seule raison en réalité, c’est le cas de Bruxelles. Vous allez voir que c’est génial ! Sans cette invention tordue, il n’y aurait jamais eu une transformation de la Belgique en un Etat fédéral. Mais cela ne peut être que transitoire. La Belgique n’aura un avenir que si un jour elle va retourner vers une structure un peu plus classique. Je suis convaincu que ce sera une Belgique avec quatre entités fédérées : La Flandre, la Wallonie, Bruxelles et la Communauté germanophone. Vous avez entendu que je n’ai pas parlé de la Communauté française. Ce n’est pas par défaut de respect. Pour moi, il est évident que la prochaine étape de la réforme de l’Etat et surtout la poursuite de ce qu’on appelle « la discussion intra-francophone » va nous mener à une redéfinition des rôles. Il y aura toujours quelque chose qui va unir les francophones de Bruxelles et de la Wallonie. Mais cette structure n’aura pas un rôle d’entité fédérée, ce sera un instrument de coopération entre les francophones de Bruxelles et de la Wallonie. C’est par ailleurs déjà très largement le cas aujourd’hui.
J’observe la Belgique fédérale depuis 40 ans. J’ai commencé à l’âge de 18 ans à m’occuper de politique. C’était au début de tout ce processus. J’observe aussi ce qui se passe un peu dans tous les Etats fédéraux du monde et j’ai participé à des nombreuses conférences sur le sujet. Cela est très intéressant et enrichissant. Quand vous voyez les problèmes des autres pays, vous vous dites que ce n’est quand-même pas si compliqué que cela en Belgique.
C’est à cause de cette boîte noire que la Belgique est devenue mondialement une success-story. Ça vaut de tout évidence pour le passé et encore aujourd’hui toujours. Je suis convaincu que cela le restera demain encore. J’étais hier après-midi, hier-soir et ce matin au Conseil des Ministres de la Politique régionale de l’Union Européenne, parfaitement présidé par la Belgique. Rudy Demotte présidait, une collègue bruxelloise tenait le siège belge. Toute la présidente européenne de la Belgique se passe parfaitement. D’ailleurs, dans les rues de Flandre, de Wallonie et de la Communauté germanophone, il n’y a pas une situation prérévolutionnaire pour le moment. La Belgique fonctionne plus ou moins. Même en pleine crise financière, la Belgique a pu réagir, était opérationnelle. Elle n’a peut-être pas été parfaite, mais qui a été parfait dans cette histoire ? D’une manière plus générale, il y a peu de gens qui pâtissent vraiment et qui ont des douleurs profondes parce que la Belgique n’a qu’un Gouvernement d’affaires courantes au niveau fédéral. A contrario, cela veut dire que le fédéralisme développé jusqu’à présent, bricolé par tuyauterie successive a en tout cas un mérite, il fonctionne ! Evidemment, pour pouvoir continuer à fonctionner, il faut que les choses évoluent. Mais soyons quand-même un peu satisfait du fait qu’il fonctionne déjà. Ce n’est déjà pas si mal dans un Etat multiethnique à deux composantes principales. Il n’y a pas beaucoup d’exemples au monde qui ont réussi dans une pareille situation.
Une situation comparable existait en Tchécoslovaquie. Vous connaissez l’histoire de la Tchécoslovaquie. Elle est très différente de la Belgique, même les Ultra-flamands tiennent compte de cette différence. La Tchécoslovaquie n’a été créée qu’après la première Guerre Mondiale. C’est aussi une histoire des Accords de Paris comme le Traité de Versailles. Et puis, comme l’a rappelé récemment le Professeur Berendt qui enseigne le Droit constitutionnel à Liège, il a quand-même fallu quelques milliers de pages d’accords. Cette histoire tchèque n’était pas une success-story pour le maintien du pays. Ce l’est devenu depuis lors, mais ça c’est une autre histoire qui n’est pas l’ordre du jour d’aujourd’hui.
Prenons d’autres exemples : Chypre, pas si évident que cela, l’Ex-Yougoslavie, encore plus difficile, vraiment plus difficile, et la ville de Jérusalem, inextricable du point de vue de l’incompatibilité entre les Juifs et les Palestiniens. Et pourtant, si vous voulez établir un modèle de fonctionnement pour Jérusalem, vous pouvez prendre comme tuyau, dans la boîte noire dont j’ai parlé, le statut de Bruxelles. Vous allez voir qu’il y a énormément d’idées à tirer de cela parce que les points de vues sont incompatibles, il y a deux communautés qui s’entremêlent, qui veulent avoir tout les deux raison, sur le même territoire. La seule différence c’est évidemment qu’on ne peut pas continuer à ramener ses kalachnikovs parce que ça, évidemment, ça ce n’est pas dans la tradition du compromis à la belge. C’est aussi très important : Toute la transformation de la Belgique s’est faite d’une manière paisible sans recours à la force !
Les cas de réussite ne sont pas si nombreux et c’est particulièrement difficile en Belgique pour une raison bien simple que vous connaissez tous. Que vous soyez marié ou simplement en partenariat : Vous savez, qu’il est beaucoup plus difficile de s’entendre à deux qu’à cinq, six ou dix-huit. Quand vous êtes à deux, si vous n’êtes pas d’accord, vous avez tout de suite un affrontement et pour en sortir, ce n’est pas toujours évident. Quand vous êtes à seize Länder en Allemagne, vingt-six Cantons en Suisse ou neuf Länder en Autriche, on peut se bagarrer, avoir des divergences de vue, mais quand on est plusieurs à discuter, la dynamique de compromis prend une forme beaucoup moins conflictuelle. Je l’ai encore vécu aujourd’hui. Entre les pays européens, il y a sur le devenir de la politique régionale européenne des points de vue très différents et le consensus n’est pas simple à trouver. Mais, il se dégage plus facilement. Quand vous êtes à deux, l’un dit « noir » et l’autre dit « blanc », le gris n’est pas si simple à obtenir. C’est exactement ce qui s’est passé en 2007. Le point de départ : Les partis flamands ne voulaient pas entrer dans un Gouvernement fédéral sans grande réforme de l’Etat ; les partis francophones étaient demandeur de rien. Alors, avoir l’illusion qu’il suffit de cinq minutes de courage pour régler tout cela, c’était mortel. Pourtant, je suis convaincu que Monsieur Leterme – que j’apprécie beaucoup l’ayant côtoyé comme Premier Ministre et Ministre-Président flamand – avait vraiment crû à ce qu’il avait dit à cette époque. Cela ne s’est pas réalisé.
Voilà un peu le décor placé. Je voudrai maintenant développer sur cet arrière-fond trois éléments et puis arriver à une conclusion. Les éléments sont les suivants : D’abord, revenir un peu à la genèse du fédéralisme belge, j’en ai déjà parlé longuement, puis répéter l’un ou l’autre élément en rapport avec les enjeux actuels et finalement dire quelques mots de la Communauté germanophone.
La genèse de l’Etat fédéral belge, j’en ai déjà dis quelques mots. Les tensions entre Francophones et Flamands existaient dès le début, c’est congénital ! Il y a des différences évidentes et sensibles entre Flamands et Francophones. Je peux en témoigner étant donné que j’ai passé toute ma vie professionnelle, même avant mes vingt années de Ministre quand j’étais pendant dix ans à la Société Régionale d’Investissement de Wallonie (SRIW), dans des milieux wallons et flamands. J’ai bien senti, analysé et assimilé ces différences fondamentales. Un Wallon n’est pas un Flamand et il ne le sera jamais, tout comme un germanophone ne sera jamais un Wallon germanophone, il accepte d’être un citoyen de la Wallonie, mais il se définit surtout comme un belge germanophone !
C’est vrai, les Flamands et les Francophones en Belgique, c’est un peu comme un vieux couple qui se dispute, toujours un peu plus, qui ne s’aime peut-être plus, mais qui a encore beaucoup de sympathie l’un pour l’autre, qui possède des choses en commun et qui n’a fondamentalement aucun intérêt à se séparer. C’est une image assez réaliste de la situation, mais l’image n’est pas parfaite, je crois que l’amour peut réapparaître. Au de la des conflits, on a en Belgique encore beaucoup de perspectives à découvrir et à valoriser les richesses de la diversité. Avec ce que vous faites ici, avec vos cours d’immersion, vous y contribuez d’ailleurs activement.
Grand et petit, c’est quelque chose qui est finalement congénital. La collectivité territoriale qui essaye de changer sa dimension a rarement d’autres possibilités qu’un recours à la force et à la guerre. Je ne crois pas que c’est ce à quoi il faut aspirer. On a la taille qu’on a et il faut vivre avec. La Belgique est très petite, mais très diversifiée avec ses cultures très différentes. Il faut en faire un élément d’enrichissement mutuel, en faire un laboratoire européen de la diversité. C’est quelque chose qui à mon avis a beaucoup de sens. Il y a encore beaucoup de potentiel car ce qui est le plus difficile pour le moment en Belgique, c’est qu’on ne se connaît plus. Les Flamands ne connaissent pas les Wallons et vice versa et ce que les uns croient savoir sur les autres, c’est plus des préjugés que vraiment une connaissance profonde des mentalités et des différences. On est un peu des ennemis inséparables. En plus, la relation est émotionnellement très chargée !
En fait, tout le monde est une minorité en Belgique. Les germanophones, c’est clair. Ce n’est pas difficile avec 854km2 de territoire et 75.429 habitants au 1er janvier 2010. Les Francophones sont aussi une minorité en Belgique. Parfois, ils ne le savent pas encore. Les Flamands sont de toute évidence la majorité. Quand on analyse leur comportement, on découvre cependant qu’ils se comportent encore très souvent comme une minorité. C’est très chargé, parce que le rapport a changé. Chaque relation, même dans un couple, est aussi une relation de pouvoir. Les Francophones étaient les plus forts au début de la Belgique et les Flamands étaient les plus faibles. La crise économique du charbon et de l’acier, le suffrage universel et l’évolution en général de la Belgique ont fait que maintenant c’est l’inverse. La Flandre est plus puissante que la Wallonie. Dans une relation qui au cours de l’histoire a connu pareil changement et revirement, il y a beaucoup de ressentiments. C’est très difficile à gérer et ça ne facilite pas la vie. C’est quelque chose qui est très important. C’est d’ailleurs pour ça aussi que tout ce qui contribue un peu en Belgique à éviter la pure polarisation autour de l’axe Flandre-Wallonie peut être un élément plutôt de pacification. Avec le troisième partenaire Bruxelles, la difficulté c’est que on n’est pas d’accord du côté flamand et du côté francophone comment il faut apprécier cette réalité. Avec les germanophones, c’est vraiment assez marginal. Dans des réunions comme par exemple au Comité de Concertation, le fait qu’il y a quatre partenaires peut influencer le climat positivement.
D’ailleurs, on est tellement impliqué dans une boite noire qu’on ne sait même pas répondre exactement à la question très simple : Vous êtes à combien d’entités fédérées en Belgique? Evidemment, quand on prend la Constitution : 3 Communautés, 3 Régions… c’est déjà 6. Mais à de très nombreux endroits, on passe des heures et des heures à discuter si la COCOF est également une entité fédérée. Est-on à 6 ou à 7 ? Tout cela fait partie de cet accord très complexe qu’on a du faire pour accoucher la Belgique fédérale et pour faire fonctionner ses institutions.
Pourquoi l’organisation des niveaux communautaires et régionaux est-elle si complexe ? C’est uniquement parce qu’on a dû imaginer une histoire de ce type pour sortir de l’imbroglio bruxellois. Pour créer la Belgique fédérale, il fallait régler au départ le sort de la région de Bruxelles-Capitale. D’ailleurs, déjà dans les mots c’est très important quand on va dans le détail. Qu’a-t-on fait ? Les Flamands disaient finalement que Bruxelles n’a pas de rôle. Bruxelles, est en territoire flamand et les francophones l’ont usurpé au cours de l’histoire. C’est un peu la version raccourcie et un peu exagérée de la thèse flamande. Les francophones considèrent Bruxelles comme un partenaire à part entière. Les germanophones ont des intérêts spécifiques et nous ne voulons certainement pas une Belgique à quatre pour ennuyer encore un peu plus les Flamands dans un jeu où ils seraient institutionnellement minoritaires. Tout cela pour dire à quel point c’est délicat.
Au début des années quatre-vingt, on a imaginé la formule et on a pu la mettre en place en 1989. Ça a pris du temps. Finalement, on a dit : Donnons raisons aux uns et aux autres, on permettra à tout le monde de défendre sa thèse. Pour se répartir, on crée les Communautés et les Régions. Est communautaire en Belgique, en terme de compétence tout ce que les Flamands ne veulent pas donner en autonomie à Bruxelles. Le reste est qualifié de régional. C’est le vrai critère de répartition des compétences. Ça n’à rien à faire avec la différence entre les personnes et le territoire. De toute évidence les compétences sont territoriales en Belgique comme partout dans le monde. Une compétence juridique peut difficilement être exercée sans un territoire sur lequel elle s’applique. Ce que les Flamands voulaient laisser gérer par les Bruxellois eux-mêmes a été qualifié de régional et soumis à quelques règles spécifiques au niveau des normes et de la composition des organes. Ce qu’ils voulaient gérer eux-mêmes à Bruxelles, a été qualifié de communautaire. C’est ça le départ du compromis sur Bruxelles. Le résultat de ce compromis est extraordinaire et pourrait servir de source d’inspiration pour Jérusalem.
Qui est aujourd’hui compétent sur le territoire bilingue de Bruxelles-Capitale ? Il y a trois entités fédérées : La Région de Bruxelles, la Communauté française et la Communauté flamande. La Communauté flamande et la Communauté française sont compétentes sur le même territoire pour les mêmes matières. C’est juridiquement assez insolite. Contrairement à des situations similaires ailleurs, le citoyen bruxellois ne doit pas faire acte d’allégeance une fois pour toutes en disant, je suis – comme au Tyrol du Sud Italien ou Germanophone – Flamand ou Francophone. Il peut choisir suivant le cas. Il choisi de se soumettre à la loi flamande ou à la loi francophone suivant ses désirs. Il peut choisir comme il veut sa maison de repos francophone, son école flamande. Cela fonctionne et s’avère être génial pour résoudre un conflit avec des positions incompatibles.
Cela a cependant des « effets collatéraux ». A cause de Bruxelles on a des Communautés et des Régions ailleurs dans le pays, notamment en région de langue allemande. Nous sommes très heureux qu’il y ait des Communautés parce que cela nous a donné des compétences très importantes pour nos 75.000 habitants. Mais cela nous ennuie aussi beaucoup parce que pour gérer correctement notre Communauté, il faut évidemment disposer d’un certain nombre de compétences régionales, sinon c’est l’imbroglio du matin au soir.
Quand on change quelque chose à Bruxelles, cela a tout de suite des conséquences pour la Communauté germanophone. Un exemple : les Monuments et Sites, c’était d’abord du culturel, puis, on voulait le donner à Bruxelles. Ainsi cette compétence est passée d’Eupen à Namur. Maintenant, c’est un peu le même débat avec les allocations familiales. Nous subissons, pure et simplement, les conséquences de certains accords sur les compétences de Bruxelles.
Dès le début, les Flamands ont voulu éliminer la différence entre les compétences régionales et communautaires en ce qui les concerne. Qu’ont-ils fait ? Ils ont fusionné les organes de Communauté flamande et de la Région flamande. C’est le même Parlement, le même Gouvernement. Quand ils adoptent un décret communautaire, les quelques Bruxellois-flamands du Parlement flamand peuvent voter avec. La même chose se passe au niveau du Gouvernement. Ils ont également fusionné les budgets. Ce qui leur a d’ailleurs permis d’améliorer la performance de leur enseignement et d’obtenir de meilleurs résultats PISA que l’enseignement francophone. Ce n’est pas parce que les Flamands sont plus malins que les Francophones, c’est tout simplement parce qu’ils ont depuis très longtemps fait des transferts de moyens très massifs de leur budget régional vers le budget communautaire.
Du côté francophone, ce n’est pas si simple et très controversé. Quand on prend les positions historiques des différents partis sur ce point, il faut constater que dans le passé, il y a eu des divergences de vue très importantes notamment entre libéraux et socialistes. Faire cette fusion simple, identique aux Flamands, aurait considérablement affaibli Bruxelles, en tout cas, pendant toute la période où Bruxelles n’existait pas encore. On aurait finalement fait la preuve que Bruxelles était superflue. C’était en tout cas la crainte de certains. Puis les Francophones ont quand même découvert que ces synergies étaient indispensables si l’on veut être efficace. Ils ont commencé un processus qui est assez ingénieux et qui arrive quasiment au même résultat. On a d’abord transféré des compétences de la Communauté française à la Région wallonne, en application de l’article 138 de la Constitution. Cet article s’inspire d’une disposition constitutionnelle inventée en 1983 pour transférer des compétences régionales à la Communauté germanophone.
Puis, l’élection directe du Parlement de la Communauté française a été remplacée par une composition au deuxième niveau. Aujourd’hui, le Parlement de la Communauté française est constitué de tous les députés wallons à l’exception des députés germanophones, plus une partie des députés francophones de la Région bruxelloise. Aux Gouvernements on peut être ministre des deux côtés. On peut à la fois être ministre de la Région bruxelloise ou de la Région wallonne et de la Communauté française. Cette formule s’applique actuellement aux postes symboliques comme le Ministre-Président, le Ministre des Finances et le Ministre des relations extérieures. De plus en plus, on fait des réunions communes de Gouvernement. Le pas décisif a été fait en 2009 et personne parmi les observateurs ne s’en est rendu vraiment compte. Pour la première fois dans l’histoire, la Communauté française et Région wallonne ont adopté leur budget lors d’une séance commune. Tout le monde est fier au Parlement wallon d’expliquer à quel point on est ingénieux pour réaliser des transferts entre les deux entités, pour gérer la trésorerie ensemble, pour faire en fait tout ce qui est déjà, depuis longtemps, réalisé du côté flamand en terme de synergies. C’est très bon. C’est évident qu’on ne peut pas gérer efficacement les compétences fédérées en le répartissant pour un même territoire sur plusieurs entités. C’est une évolution très logique et elle va continuer.
Les Germanophones ont cependant un grand problème avec cette évolution. Chaque fois que l’on va un peu plus loin dans ce rapprochement du côté francophone, des problèmes se posent chez nous. Comment peut-on gérer sans ces synergies et transferts les compétences régionales en Communauté germanophone, sans avoir un lien avec les compétences communautaires ? C’est pour ça que nous disons que ça ne peut pas fonctionner à terme, d’autant plus qu’on a déjà fait des transferts importants de compétences régionales vers la Communauté germanophone : D’abord les Monuments et Sites pour des raisons que j’ai rappelé tantôt, puis l’Emploi qui n’est quand-même pas rien, surtout avec la nouvelle dimension qui va peut-être sortir des négociations et enfin, la tutelle sur les Communes et le financement général des Communes. En plus, on veut récupérer le plus vite possible les compétences Logement et l’Aménagement du Territoire.
Finalement, il n’y a pas d’autres possibilités que d’arriver à une Belgique à 4. Cette bicéphalité asymétrique a permis la naissance de l’Etat Fédéral belge. Elle incarne ce qu’on peut appeler un « compromis à la belge » dans sa dimension la plus développée. Pour y arriver, il a fallu négocier longuement, avec des hauts et des bas, ce qu’on appelle la liturgie du compromis à la belge. En fait, c’est un peu de cinéma! Puis, à la fin, il faut atterrir. On arrive avec un accord qui est compliqué, où tout le monde peut dire, qu’il a eu quand-même un peu raison et les gens le croient d’autant plus facilement qu’ils ne comprennent pas tout à fait le contenu du compromis. Mais, et c’est le test ultime, la solution doit fonctionner quand-même dans la réalité. C’est ça le compromis à la belge, pour lequel on mérite vraiment le titre de champion du monde. Je suis certain que la solution des problèmes actuels se retrouve dans un processus du même genre quelque part dans les heures, semaines, mois, en tous cas, dans l’année à venir.
Tout cela s’est fait en cinq étapes. Je ne vais pas vous refaire l’historique de la réforme de l’Etat de 1970 à 2001, je vais simplement vous lire un texte qui permet de relativer un peu le conflit actuel. On dit toujours qu’on est en grande difficulté. C’est vrai, on est en difficulté pour l’instant, malgré le fait qu’on fonctionne. On ne peut pas continuer éternellement comme ça ne fût-ce que parce qu’il faut quand-même un jour avoir un budget. Il faudra aussi faire quelques sérieuses économies, si on veut que la Belgique survive économiquement et puisse relever des défis comme notamment celui du changement démographique.
L’histoire est là pour montrer que tout se répète d’une certaine façon. Le conflit de 1978 avec le pacte d’Egmont était proportionnellement au moins aussi grave que ce que l’on vit actuellement. Le seul vrai élément nouveau, c’est la répartition des forces politiques du côté flamand. Le premier parti flamand est un parti démocratique nationaliste dont le programme se prononce pour un Etat flamand indépendant. C’est une nouvelle donnée, mais tout est relatif. D’ailleurs, Monsieur De Wever évite soigneusement d’en parler. Mais ce qui m’a le plus impressionné quand j’étais Médiateur, c’est que le conflit belge est déjà une histoire très ancienne. Quand a commencé la transformation de la Belgique en Etat fédéral ? En fait, s’était après la Deuxième Guerre Mondiale, par une loi du 21 avril 1946 ! On a créé à l’époque le « Centre Harmel », un centre d’étude parlementaire, chargé de préparer la transformation de la Belgique. Ce centre a remis son rapport en 1958, l’année de l’exposition mondiale. Dans l’exposé des motifs de cette loi de 1946, j’ai trouvé un texte extraordinaire et je vais vous le lire. La proposition de loi commence son développement par la phrase suivante : « Il existe un malaise qui affecte la vie nationale et dont la conscience grandit dans la Belgique entière. En opposant wallons et flamands, il pourrait compromettre, à la longue, l’unité belge. Les régions d’expression française ressentent aujourd’hui (1946 !), pour des raisons parfois différentes, le même sentiment de crise ou d’infériorité qui a ému depuis longtemps les belges d’expression flamande. Les racines de ce malaise doivent être recherchées. » J’ai rarement trouvé une phrase qui résumait mieux la problématique belge, même contemporaine, C’est ça la Belgique et on est toujours dans ce processus.
Ou en est-on aujourd’hui ? En fait, on a fait cinq étapes. Je maintiens que ces cinq étapes ont conduit à une Belgique qui est une réussite, même si elle n’est pas parfaite. La première étape remonte à 1970 et la dernière en 2001. Le problème c’est que, depuis lors, les choses sont bloquées.
Depuis 2001 – je peux quand même parler d’une chose que je connais parce que j’ai personnellement assisté aux négociations – il était clair que les Flamands voulaient aller plus loin. A l’époque, les Francophones voulaient surtout refinancer leur enseignement. Ils l’ont obtenu, mais les Flamands ont pris le plus gros morceau du gâteau. D’ailleurs, les Flamands ont aussi pris à ce moment – ce qu’ils ne disent jamais, mais je vais quand-même le rappeler – une bonne partie d’autonomie financière. Dans les budgets régionaux, la partie d’impôt régional est déjà significative. Il ne faut pas faire semblant que cela n’existe pas. Mais les Flamands voulaient plus et aller beaucoup plus loin. Ils venaient d’adopter, il y a quelques mois, leurs fameuses cinq résolutions. On peut ignorer ces résolutions, mais elles sont quand-même l’expression quasi unanime du Parlement démocratiquement élu de la Flandre. Mais à ce moment-là, les Francophones ne voulaient vraiment pas aller plus loin. Ils ont encore juste fait un accord interne sur la répartition du refinancement. Puis, les choses se sont bloquées… tout à fait bloquées.
Le dossier symbolique, emblématique venait évidemment de Bruxelles-Hal-Vilvoorde. L’enjeu est politiquement un peu plus grand que pour les Fourons, mais ce n’est quand-même pas le nombril du monde non plus. D’ailleurs, entendez-vous encore parler souvent de Bruxelles-Hal-Vilvoorde ces temps-ci, depuis le 13 juin ? On en parle très rarement. Cela reviendra, mais ce n’est pas le dossier à la une avec tout l’impact qu’on pourrait soupçonner si on sait que c’est à cause de ce dossier que la prise du courant a été tirée pour le Gouvernement Leterme. C’est un dossier emblématique et la grande erreur a été de ne pas atterrir en 2005. On n’était pas très loin d’un accord. Ce serait intéressant de voir pourquoi cela n’a pas réussi, mais ça dépasserait vraiment mes propos d’aujourd’hui. En tout cas, ce dossier est très riche en enseignements et très lourd en conséquences, même pour tous ceux qui ont fait à l’époque le nécessaire pour qu’il ne réussisse pas. Ils ont quasiment disparu de la vie politique. Et puis en 2007, on avait comme point de départ, une situation ou les uns disaient, il nous faut tout, et les autres, on est demandeur de rien. Comparer une fois les débats électoraux de 2007, avec ceux de 2010. Le point de départ était très différent. La période 2007-2010 n’a rien donné comme résultat. Elle a quand-même créé une évolution qu’on ne peut analyser à sa juste valeur que si on la compare à un jouet que vous avez peut-être connu dans votre enfance : La toupie.
Ce qui a fondamentalement changé, c’est la disponibilité à créer les conditions préalables pour un compromis. Les Flamands ont compris qu’il fallait aller vers un compromis. Mais ce qu’ils appellent un compromis, c’est toujours quelque chose qui est inconcevable pour les francophones. C’est tout le chemin qui reste à faire. C’est vers le milieu de 2008 que les Francophones ont commencé à accepter le déplacement du centre de gravité de la Belgique fédérale vers les entités fédérées, avec plus d’autonomie, de compétences et de responsabilités pour les entités fédérées avec le maintien d’une solidarité interpersonnelle. En plus, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut aller vers des simplifications et des synergies du côté francophone. Tout cela bouge un peu et cela rend possible un nouvel accord. Dans cet accord, il y aura évidemment à régler le sort de Bruxelles. Il y aura accessoirement des sujets comme la deuxième Chambre fédérale. On va réorganiser le Sénat. Là, il faut aller voir ailleurs dans les Etats comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse pour voir comment fonctionne la deuxième Chambre. Et puis, il y a évidemment le nerf de la guerre : L’argent. La loi de financement est évidemment l’enjeu essentiel, directement par le changement du système de financement ou indirectement par la répartition des compétences notamment en matière de sécurité sociale. C’est très compliqué, très complexe. On peut évidemment jouer à l’infini avec les modèles mathématiques. Chacun peut se faire le sien. Il suffit juste de définir le résultat que vous voulez avoir, alors, le modèle est parfait. C’est comme si je dis, je suis en Belgique au centre de l’Europe. Quand je regarde autour de moi, je suis toujours au centre, il ne faut cependant pas en tirer les conséquences prématurées. La loi de financement est évidemment un enjeu tout à fait fondamental. Il n’y a pas deux cents possibilités de solutions faisables. Fondamentalement, ça sera un mixte entre des règles de solidarité, des règles d’attribution sur base de critères objectifs et des règles permettant sur une certaine influence des entités fédérées sur leurs recettes. Le tout doit être tel que personne ne perd la face.
Que devient dans tout cela la Communauté germanophone ? La Communauté germanophone n’est pas l’architecte de la Belgique, mais elle veut y occuper un appartement convenable. Nous disons très simplement ce que, après multiples débats, les Francophones et Flamands considèreront comme bon pour eux est aussi bon pour nous. Mais sommes-nous capables d’assumer toutes ces compétences et responsabilités malgré notre taille réduite en termes de population et de territoire ?
Je peux vous faire une deuxième conférence, encore plus longue, sur cette problématique. On y a déjà consacré deux colloques, le premier sous le thème « Small is beautiful, isn’t it ?», le deuxième sous le thème « Small is beautiful ». Le troisième en 2014 sera « Small is beautiful, it is ! » On sait régler les problèmes liés à la taille réduite. En plus, on peut être parfois un laboratoire et je vous cite deux exemples à ce propos. Vous avez toujours en Communauté française, quelques cent-vingt barèmes différents pour payer les enseignants. Mes collègues et moi, nous avons décidé au Gouvernement qu’il n’y en aura plus que quatre en Communauté germanophone. Tous les syndicats de Belgique m’expliquaient que c’était impossible. Un décret a été pris et cela fonctionne !
Quand on a obtenu la compétence en matière de financement des communes, on a décidé de changer le système des travaux subsidiés pour les routes communales, où un plan triennal était établi par la commune et approuvé par le Ministre. Qu’avons-nous fait ? On a supprimé le tout d’un trait de plume, tout comme on avait supprimé de très nombreux cas de tutelle d’approbation le jour où on a repris la tutelle. Nous avons fixé une dotation pour les routes communales. On a négocié durement avec les communes qui ont pu participer à l’élaboration du décret. Ça, on ne peut vraiment le faire que quand on est petit. Je me mets directement avec mes neuf communes autour d’une table et nous négocions jusqu’au moment où nous avons un accord ou qu’il y ait consensus. Puis on prend un décret et les choses sont réglées. Ainsi on a fixé la dotation pour les voieries communales avec un montant précis et une clé de répartition qui satisfait plus ou moins tout le monde. Les communes reçoivent cet argent en douzième et mes fonctionnaires contrôlent dans le cadre de la tutelle générale si l’argent reçu dans l’année x pour faire des routes a été utilisé à bon escient au plus tard six ans après. C’est une simplification extraordinaire.
Voilà quelques petits exemples pour la dimension réduite. Je pourrais encore en raconter beaucoup d’autres. Quand on est petit, on ne sait pas faire la même chose que les grands, mais on peut parfois faire des choses qui sont intéressantes pour les grands. Je dis toujours à mes collègues wallons : donnez-nous l’Aménagement du Territoire et on vous fera vraiment un laboratoire d’Aménagement du Territoire qui est très différent de ce que l’on vit actuellement avec un « CWATUP ». Là aussi, on peut créer un système autre que l’actuel, qui consiste une relation triangulaire. Vous avez la commune, le Ministre à Namur et le fonctionnaire délégué. Dans ce triangle de Bermudes, vous faites n’importe quoi et le contraire. Je suis pour des règles très strictes, simples et très rapides avec beaucoup plus de pouvoirs aux communes et un système de recours à un niveau. En Wallonie, il faut quinze ans pour adopter un plan urgent en matière de zonings industriels. On inaugurera cinq fois, et on n’a toujours pas de terrain effectivement disponible. Au Grand-duché de Luxembourg, ça dure six mois. Alors, je dis à mes gens qui préparent la nouvelle législation : Vous faites ce que vous voulez ou presque – je suis un peu juriste quand-même – mais ça ne peut pas durer plus que trois mois ! C’est en terme de compétitivité au moins aussi efficace que l’une ou l’autre formule de subsidiation avec trente-six formulaires etc. Là, il y a des choses à faire.
Mais quand on est petit, on ne sait pas tout faire non plus. Que fait-on quand on est petit ? On coopère. Comment ? Quand un besoin apparaît, la politique, tous partis confondus, a tendance à créer un instrument pour résoudre ce problème. Dans la meilleure des hypothèses, l’instrument va régler le problème. Alors, vous avez un nouveau problème. Que faites vous avec un instrument qui n’a plus de problèmes à régler ? Il doit se chercher et trouver de nouveaux problèmes.
Quand vous êtes petit et que vous avez un problème, vous réfléchissez à deux fois : Dois-je entreprendre quelque chose ou pas ? Pour moi, ce n’est pas idéologique, mais très pragmatique. Quand la décision est prise d’entreprendre quelque chose, vous regardez autour de vous. Quand vous êtes dans une région frontalière comme nous, avec deux Länder allemands, le Grand-duché du Luxembourg, les Pays-Bas et toute la diversité belge, vous trouverez certainement quelqu’un qui peut vous aider à régler le problème ou avec lequel vous pouvez coopérer. Dans la meilleure des hypothèses, il se trouve dans le cas que je viens de décrire. Il travaillera alors pour vous à coûts marginaux par simple besoin de survivre. C’est l’idéal, vous pouvez régler beaucoup de choses. Vous ne pouvez évidemment pas toujours vivre au crochet des autres. Quand vous avez une telle situation où bien vous coopérez, où bien vous créez un instrument. Mais avant de le créer pour vous-mêmes, vous allez voir vos voisins en leur demandant de pouvoir aussi travailler pour eux. Alors, vous obtenez un effet de taille et une répartition des coûts intéressante. C’est ainsi que nous travaillons souvent en Communauté germanophone.
Je suis intimement convaincu que la Belgique de demain sera une Belgique à quatre, un peu comme j’ai essayé de vous la décrire, avec évidemment encore des détails asymétriques. Ce n’était pas mon propos de décrire un avant-projet de loi sur les réformes des institutions. Ce sera une Belgique à quatre dans laquelle les Germanophones veulent vraiment être partie prenante. Je crois que c’est de cela dont on discutera beaucoup dans les semaines et mois à venir.
En tout cas, on n’a pas le choix. Ou bien, on réussit cette transformation de la Belgique en faisant la sixième étape de la réforme de l’Etat, ou bien on va vraiment déboucher sur une crise institutionnelle et une crise d’Etat. La crise d’Etat sera inévitable, si on ne trouve pas un accord. C’est pour cela que je considère personnellement – surtout du point de vue des Germanophones qui n’ont pas une influence sur l’issue du débat – que l’on ne peut pas tabouiser la question du Plan B, en cas de disparition de la Belgique. Ce serait très pénible, mais j’ai le sentiment que la planète continuera à exister, on ne va pas mourir pour la cause.
En tous cas, les Germanophones n’ont aucune influence sur la question : Est-ce que la Belgique continue ou pas ? Dans pareil cas, vous devez faire au moins une chose que vous devez d’ailleurs toujours faire quand vous voyez venir des gros problèmes : Il faut se mettre dans une position pour avoir plusieurs choix. C’est très important. Aujourd’hui, je ne dirai pas plus sur cette question parce que je l’ai déjà dis tellement souvent ailleurs. Pour moi, réfléchir intellectuellement aux conséquences de la disparition de la Belgique est quelque chose de très bénéfique parce que ça fait en tout cas grandir encore la conviction qu’aussi difficiles et compliquées que puissent être les difficultés qui nous attendent pour arriver à un accord, elles sont encore incommensurablement plus petites que ce qui nous attend si la Belgique disparaissait.
C’est pour cela que je suis assez confiant, sans être naïf, mais je suis vraiment intimement convaincu qu’il n’y a pas d’alternative à l’avenir de la Belgique. Je vous remercie de votre bonne attention.