Reden

Discours à l’occasion de la conférence-débat au Lions-Club de Liège-Sart-Tilman


Discours de Karl-Heinz Lambertz, Ministre-Président de la Communauté germanophone sur le thème: « La place de la Communauté germanophone dans la nouvelle architecture institutionnelle de l’Etat belge » à l’occasion de la conférence-débat au Lions-Club de Liège-Sart-Tilman

Tilff, 1er février 2011

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Mesdames, Messieurs,

Après ce somptueux repas, j’ai le plaisir de vous parler de l’infiniment petit : en effet, la Communauté germanophone n’est pas très grande. Pour être plus précis, elle s’étend sur un territoire de 854km2, est composée de neuf communes et sa population s’élevait, au début de cette année, à quelque 76.000 habitants. Dans ces circonstances, on peut considérer qu’elle est une quantité négligeable. Il m’arrive d’ailleurs assez souvent, aussi bien en Belgique qu’ailleurs en Europe, de rencontrer des gens qui ne savent même pas que la Communauté germanophone existe. A vrai dire, je ne peux pas vraiment leur en vouloir. Il y a des choses plus importantes que la Communauté germanophone en ce monde.

Elle est très petite et elle le restera. C’est un peu dommage peut-être, parce que, quand on a décidé, après la Première Guerre Mondiale (il y a très exactement nonante années, en effet le Traité de Versailles est entré en vigueur le 18 septembre 1920), de prendre un morceau de l’Allemagne pour le rattacher à la Belgique, certains avaient l’idée d’aller jusqu’au Rhin. Oh ! Comme je regrette aujourd’hui que cela n’a pas été fait! Imaginez-vous les débats actuels sur la régionalisation de notre pays. Dans ce contexte-là, la Communauté germanophone aurait eu une position certainement plus importante qu’elle ne l’a maintenant. Mais à vrai dire, je ne suis pas tout à fait sûr qu’il faille vraiment s’en plaindre.

En effet, dans ce monde des Etats et des entités fédérées, il y a des grands et des petits. C’est un peu comme dans la vie quotidienne. Si vous voulez encore grandir à votre âge, il n’y a pas beaucoup de possibilités. Il y a peut-être l’utilisation de moyens de torture moyenâgeux ou de quelques médicaments miraculeux pour y arriver, mais la plupart des gens, quand ils changent de dimension à l’âge adulte, c’est rarement vers le haut ou vers le bas, c’est plutôt en largeur, et dans ce cas, les vraies difficultés commencent !

C’est un peu la même chose pour les collectivités territoriales. Quand on veut changer la dimension d’une collectivité territoriale, cela devient souvent très dangereux. Je ne parle pas des limites de la Région bruxelloise. On peut toujours essayer de les changer. Je pense aux frontières nationales ou interétatiques dans d’autres pays. Il est rare qu’on les change autrement que par la violence et par la guerre. Le seul pays que je connaisse, dans lequel la Constitution prévoit spécifiquement un droit de sécession, est l’Ethiopie.

J’ai d’ailleurs envoyé l’information à Monsieur Bart De Wever. Il y a quelques mois j’avais été invité à assister à la cinquième Conférence des Etats Fédéraux du Monde, qui, après le Canada, la Suisse, la Belgique et l’Inde, se tenait en Ethiopie. Les juristes qui préparaient cette conférence avaient mis en exergue cet article de la Constitution éthiopienne. Mais si on veut changer quelque chose aux dimensions et aux frontières d’entités étatiques ou infraétatiques, c’est toujours très dangereux, très compliqué et très violent. Peut-être l’un ou l’autre se rappelle-t-il encore la fusion des communes de 1976, cela avait déjà été toute une histoire. Tous les pays qui essayent de changer la dimension de leurs communes – j’ai encore assisté à une telle tentative dans le beau Land autrichien de Styrie – se cassent souvent le nez. Il est donc peut-être plus sage d’accepter les choses dans les dimensions qu’elles ont. Quand on est grand ou petit – en tant que personne, entité, Région ou Communauté – il vaut mieux s’occuper d’autre chose que de vouloir changer cela. D’ailleurs, cela peut également se passer très bien quand on est petit.

Quand Monsieur Junker, le Premier Ministre luxembourgeois – que vous connaissez tous je crois – va à Pékin, il est toujours très bien reçu, tout comme je suis également très bien reçu quand je me déplace à Düsseldorf, qui est la capitale du plus grand Land allemand, la Rhénanie Nord-Westphalie. Quand Monsieur Junker va à Pékin, il représente avec ses cinq cent mille habitants 0,0003% de la population chinoise. Quand je vais à Düsseldorf, moi au moins je peux dire que je représente 0,412% de la population de la Rhénanie Nord-Westphalie. Et quel soulagement quand je vais en Flandre: là, je représente même 1,2% de la population. La taille d’une entité n’est, somme toute, pas très importante.

Mais qu’est-ce qui est important alors ? Pour une collectivité territoriale, c’est sa façon de s’intégrer dans un Etat, dans une structure, et de trouver dans ce système, dans cette architecture, les perspectives de développement pour son destin. C’est de cela que je vais vous entretenir quelque peu maintenant. Je le ferai plus brièvement que je ne l’avais initialement prévu, car je me rends bien compte que votre patience, à cette heure de la journée, a des limites. Je vous invite, si cela vous intéresse, à emporter le texte d’un discours un peu plus long, que j’ai prononcé en novembre en province du Hainaut, où j’avais également été invité à disserter sur le sujet, et où j’avais d’ailleurs eu bien plus l’occasion de parler de l’évolution de la Belgique, qui est évidemment existentiellement liée au sort de la Communauté germanophone. Mais c’est plutôt l’inverse : le sort de la Communauté germanophone est existentiellement lié au sort de la Belgique, on pourra peut-être en parler plus tard.

La Communauté germanophone n’est pas identique aux Cantons de l’Est, parce qu’en réalité, les Cantons de l’Est sont la partie de l’Allemagne qui a été rattachée à la Belgique en 1920, comprenant également les Communes de Malmédy et de Waimes, qui ont choisi elles-mêmes en 1963, quand on a tiré les frontières linguistiques en Belgique, de faire partie de la Région de langue française. Ce fut leur choix. Je crois que ce choix est aussi irréversible que celui des Fourons, et je dirais même, en faisant mon analyse personnelle, que celui de la périphérie bruxelloise.

La Communauté germanophone d’aujourd’hui, ce sont neuf Communes, deux sous-régions séparées par un corridor. D’ailleurs, l’idée de faire un corridor entre la Wallonie et Bruxelles devrait avoir comme conséquence logique qu’il existe aussi un corridor entre le Canton d’Eupen et le Canton de Saint-Vith. Sourbrodt est donc menacé, parce que ce village se trouve précisément sur la voie de l’hypothétique corridor.
La Communauté germanophone est divisée en deux parties très dissemblables qui ont une Histoire différente et n’ont un destin commun que depuis le Congrès de Vienne. Ce n’est qu’en 1815 que, pour la première fois, ces deux régions ont été liées par un sort commun. Avant, Eupen était plutôt orienté vers le Limbourg et Saint-Vith vers Trèves, Cologne ou ailleurs, mais leur orientation na jamais été commune. Ce n’est que le Congrès de Vienne qui leur a apporté un destin commun en rattachant toute cette partie-là au Royaume de Prusse.

Ensuite l’évolution suit son cours, et en 1920 survient le premier élément important qui prédétermine la situation actuelle de la Communauté germanophone, le deuxième étant la transformation de la Belgique en Etat fédéral à partir de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Quand on parle de la Communauté germanophone aujourd’hui, on doit nécessairement se référer à ces deux éléments-là. Sans le Traité de Versailles, sans la transformation de la Belgique en Etat fédéral, la Communauté germanophone d’aujourd’hui, avec sa dimension très modeste, ne serait jamais dotée d’un Parlement ayant la possibilité de voter des lois, ni d’un Gouvernement, ni de tous ces autres attributs qui donnent à la Communauté germanophone son statut de Communauté en Belgique.

Ni l’un ni l’autre n’ont été demandés ou décidés par la population ! C’est très intéressant de lire les débats au Parlement belge dans les années vingt sur le simulacre de référendum qui a été fait à l’époque à la demande de la Société des Nations pour consolider ce rattachement à la Belgique.

En fait, une liste avait été déposée à Malmédy, et tout qui était contre le rattachement pouvait s’inscrire et était immédiatement reconduit à la frontière allemande. A l’époque, dix-sept personnes s’étaient inscrites, je crois, et ce fut cela le référendum. Il y eut de grands débats au Parlement belge à ce sujet, il y eut notamment une interpellation d’un député de la région, Monsieur Marc Sommerhausen, qui devint plus tard Président du Conseil d’Etat de Belgique et qui est décédé en 1982 : il a fait au Parlement belge, en mars 1927, une interpellation qui est passionnante à lire. Des passages extraordinaires s’y trouvent. Je vais vous en citer un, car il en dit long sur la Belgique de l’époque et la Belgique d’aujourd’hui.

« Ceci dit, on pourrait imaginer », dit Marc Sommerhausen en 1927, « que la Belgique trilingue devienne désormais un Etat que l’on pourrait comparer à la Suisse, ce pays de tolérance et de liberté. » Il continue : « On pourrait concevoir que la Belgique trilingue devienne en quelque sorte un trait d’union entre la France, l’Allemagne et la Hollande, que ce soit une libre Fédération de trois peuples où se développeraient trois civilisations différentes, où se feraient un échange culturel des plus utiles ». Une phrase dite à l’intention de la Communauté germanophone en 1927 au Parlement belge, donc deux ans après le régime transitoire du Général Baltia, qui nous a laissé d’ailleurs à Malmédy ce très beau bâtiment du Commissariat d’Arrondissement. C’est dire que ces discussions sur les différences et diversités belges ne sont pas tout à fait nouvelles. Déjà à l’époque, la Communauté germanophone fut l’occasion d’en parler. Le reste de l’interpellation vaut aussi d’être lu.
Sans cet accident de l’Histoire (qui entraîna pour mon grand-père le fait de changer quatre fois de nationalité alors qu’il fut toute sa vie durant fermier dans ce beau village de Schoppen), les Germanophones d’aujourd’hui vivraient à sept cents kilomètres de Berlin, bien plus loin à l’est de la capitale allemande qu’Aix-la-Chapelle ou Montjoie, dans le dernier coin perdu de l’Allemagne, et personne ne se poserait beaucoup de questions sur la problématique de l’autonomie, de la gestion de compétences, des lois de financement et autres joyeusetés.

C’est un premier accident de l’Histoire qui a d’ailleurs eu des conséquences très dures, dont j’ai cité un exemple en parlant de mon grand–père. Vous l’avez d’ailleurs judicieusement rappelé tantôt dans votre introduction, la période entre les deux guerres puis la guerre en elle-même avec l’annexion (qui, par après n’a pas vraiment été reconnue comme telle) furent des phases très pénibles.

Et puis, vient un autre élément que les Germanophones n’ont pas appelé de leurs voeux. Après la Deuxième Guerre Mondiale, ce fut le début du long chemin vers le fédéralisme en Belgique. Et le fait (surtout à un moment où cela discute très fermement) qu’on a un peu l’impression de faire éternellement des retours à la case départ, n’est pas si original et unique qu’on peut le croire. A vrai dire, ce chemin a déjà commencé en avril 1946.

Au Parlement belge, peu de temps après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le 21 mai 1946 exactement, une proposition de loi a été déposée à la Chambre. Elle comportait les mots suivants dans son titre: « …portant création d’un centre de recherche pour la solution nationale des problèmes sociaux et juridiques en Région wallonne et flamande ». C’est le fameux texte qui a créé ce qu’on a appelé plus tard le Centre Harmel. Dans l’article 1 de cette loi se trouve une phrase qui est d’une actualité étonnante. En 1946, le texte commence de la façon suivante : « Mesdames, Messieurs, il existe un malaise qui affecte la vie nationale et dont la conscience grandit dans la Belgique entière. En opposant Wallons et Flamands, il pourrait compromettre, à la longue, l’unité belge. Les régions d’expression française ressentent aujourd’hui (1946 !), pour des raisons parfois différentes, le même sentiment de crise ou d’infériorité qui a ému depuis longtemps les belges d’expression flamande. Les racines de ce malaise doivent être recherchées. »

J’ai le sentiment qu’on n’a pas encore tout à fait trouvé. Cette recherche de 1946 a duré jusqu’en 1958, l’année de l’exposition universelle et accessoirement l’année de la naissance de ma soeur, mais ceci a moins d’importance… Cette recherche a débouché en 1958 sur ce qu’on appelle « le rapport du Centre d’étude Harmel ». Ce gros document comporte quelque quatre cents pages très intéressantes à lire, et c’est à partir de là que s’est produite toute une série d’évènements : Il y eut d’abord les lois linguistiques de 1963.

Elles influencent aujourd’hui encore fortement la vie politique en Belgique, avec quelques cas un peu difficiles comme les Fourons, Mouscron, la Région bruxelloise et aussi la frontière entre la région de langue française et la région de langue allemande. Ensuite on est arrivé, en 1970, à faire les premières modifications constitutionnelles, la première étape de la réforme de l’Etat en Belgique. Depuis, il y a eu plusieurs pas, grands ou petits, qui ont tous le point commun d’aller dans la même direction. Ils vont dans la direction d’une transformation d’un Etat unitaire décentralisé sur base de provinces vers un Etat fédéral sur base de Communautés et de Régions. A chaque étape, les compétences et les responsabilités de ces entités fédérées (Communautés et Régions) deviennent plus importantes.

En 1980 a lieu la deuxième étape, en 1988 la troisième, en 1993 la quatrième, et en 2001 la cinquième : les fameux accords du Lambermont. Je peux en parler en détail parce que j’ai assisté physiquement à la plus grande partie de ces nuits blanches dans le très beau bâtiment du Lambermont qui manquait fâcheusement des infrastructures qui agrémentent normalement les soirées et les nuits.

Depuis lors les choses sont en train de se bloquer, alors que deux ans auparavant déjà, en 1999, les Flamands avaient voté cinq résolutions avec des revendications très fortes et dures auxquelles les Francophones avaient répondu par un non catégorique. Depuis ce moment-là, on est entrain de discuter ce qui se discute encore toujours aujourd’hui et plus particulièrement ces jours-ci. Nous sommes donc dans un processus. Si on veut porter un jugement sur ce processus et si on veut en saisir vraiment la portée profonde et comprendre les règles de fonctionnement, on a vraiment intérêt à l’analyser dans une perspective historique, avec un peu de distance, en élevant son regard sur l’entièreté de la durée, qui s’étend sur un petit demi-siècle. Pour une transformation aussi fondamentale qu’est la transformation d’un Etat unitaire en un Etat fédéral, un demi-siècle n’est vraiment pas une très longue période.

Pourquoi vous dis-je tout ceci ? Certainement pas pour éviter de vous parler de la Communauté germanophone, car vous imaginez bien que c’est le sujet que je maîtrise le mieux. On ne peut pas vraiment parler sérieusement de la Communauté germanophone sans parler de tout ceci, parce que la Communauté germanophone doit sa situation – passée, actuelle et future – uniquement à cette évolution-là. Après avoir été les derniers Belges qui sont venus à la Belgique en 1920, l’autre processus, la transformation en Etat fédéral, peut à la limite nous conduire à devenir vraiment les derniers, à savoir les seuls Belges qui resteront encore à la fin de ce processus. Il est évident que ce processus n’est pas terminé. Il y eut de grands moments d’émotions et de conflits. L’épisode le plus dur fut certainement tout ce qui a entouré le pacte d’Egmont à la fin des années septante. Actuellement nous sommes à nouveau arrivés à un moment dont on peut dire toutes proportions gardées qu’il est difficile et délicat, mais pas du tout exceptionnel ou imprévisible ou tout à fait hors de la norme qui caractérise l’évolution belge.

Personnellement, je dis plutôt que nous sommes au coeur du problème. Mon avis est aussi que cela va encore durer un certain temps. J’ai aussi l’intime conviction que tout comme pour les cinq étapes précédentes, nous aboutirons cette fois à un compromis qui sera, comme les précédents, typiquement belge, parce qu’il aura pris beaucoup de temps à se faire et qu’il sera très compliqué : personne ne comprendra vraiment et personne ne perdra la face. Ce compromis se crée donc actuellement dans une atmosphère de dramatisation extrême, c’est un peu comme une sorte de liturgie de conflit et de recherche de compromis, mais une liturgie plutôt orthodoxe qui s’éternise et qui fonctionne quand-même!

Il ne faut quand-même pas oublier une chose, malgré tout ce que l’on dit de mal de la Belgique: ici et maintenant, personne n’a vraiment l’impression que nous sommes dans une situation prérévolutionnaire comme en Egypte. Certes, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, il est évident que les choses ne peuvent pas stagner. Actuellement et dans les faits, si on est honnête, depuis 2007 déjà l’Etat belge fonctionne d’une façon imparfaite au niveau fédéral, mais les gens ne le ressentent pas trop car déjà aujourd’hui, après cinq étapes, la réforme de l’Etat a débouché sur le résultat que les compétences très proches des gens sont surtout gérées par les Communautés et les Régions. Un défaut de pouvoir ou une imperfection au niveau du pouvoir fédéral n’affectent donc pas immédiatement de manière visible la vie quotidienne des gens. Mais cette situation ne peut évidemment pas perdurer. Bien qu’on puisse considérer que la Belgique soit une structure un peu tordue aujourd’hui, elle a quand-même le mérite de fonctionner. Elle parvient même à gérer convenablement une présidence belge dont tout le monde s’est félicité. La crise financière et économique n’a pas été moins bien gérée qu’ailleurs, tout au contraire, nous avons un résultat budgétaire qui n’est pas moins bon que la moyenne européenne, et on peut encore ajouter d’autres aspects positifs, notamment en matière de balance commerciale, pour ne prendre que cet exemple.

Ne dramatisons donc pas trop l’acuité des problèmes actuels bien qu’elle soit réelle, mais cherchons dans la structure même de la transformation de la Belgique, des éléments pour arriver plus loin. J’ai le sentiment que, s’il ya bien une chose qui a changé entre 2007 et 2010, c’est que maintenant tout le monde est vraiment conscient qu’il faut faire quelque chose. Entre 2001 et 2007, les Flamands disaient : Il faut absolument faire une grande réforme de l’Etat. Les Francophones disaient, avec des nuances imperceptibles dans leurs différences: nous ne sommes demandeurs de rien !

Et puis un jour un politicien eut l’idée de dire : « Il suffit de cinq minutes de courage politique pour régler tout ceci ». Les cinq minutes durent encore, c’est un peu comme avec le rapport du groupe Harmel. En 2010, avant les élections, on a quand-même constaté que les Francophones autant que Flamands étaient conscients du fait qu’il fallait dorénavant parfaire le modèle institutionnel belge s’ils voulaient que ce pays continue à exister.

Néanmoins, jusqu’à présent, personne n’est encore parvenu à régler le problème. L’exigence flamande de régler la difficulté avant de constituer un Gouvernement sur les questions plus classiques a surgit surtout parce que les Flamands se sont faits un peu leurrer par le passé avec cette méthode légèrement différente où un Gouvernement avait d’abord été constitué, et où on avait ensuite encommissionné le reste. De cette façon les Flamands n’avaient toujours rien obtenu. Pour cette raison, l’électeur flamand a durement sanctionné les partis classiques qui étaient au pouvoir entre 2000 et 2007. Actuellement, les choses sont un peu différentes.

Je reste convaincu que nous allons aboutir à une solution. Et je suis aussi assez convaincu que, malgré la difficulté de trouver une solution, procéder à une véritable scission de la Belgique comme le prévoit bien le programme politique du principal parti du pays, la N-VA, serait encore incommensurablement plus compliqué que n’importe quel autre compromis qui devra être trouvé maintenant. Je reste donc assez confiant. Peut-être vous posez-vous la question de savoir pourquoi je ne parle pas de la Communauté germanophone ? Vous pensez que j’ai tout de même été invité pour cela. Et bien je dois vous dire que je suis en train de parler de la Communauté germanophone et que je n’ai encore rien fait d’autre. Comment devez-vous comprendre ceci ?

La Communauté germanophone doit son existence à ce double accident historique (Traité de Versailles et transformation de la Belgique en Etat fédéral), et la Communauté germanophone est la minorité évidente dans ce pays, encore que, en fin de compte, tout le monde est une minorité en Belgique. Les Francophones le sont devenus mais parfois ils ne le savent pas encore ; les Flamands se comportent toujours comme s’ils étaient la minorité opprimée du début de l’Etat belge (mais ceci est une parenthèse), et les Germanophones, qui sont la vraie minorité, n’ont aucune influence sur l’issue du débat. Je peux vous faire les pronostics les plus insolites ou les plus raisonnables sur l’évolution de la Belgique, mais cet accord qu’il y a à faire pour y arriver, ce ne seront que les Francophones et les Flamands qui devront y arriver. La situation des Germanophones est très particulière. Ils sont évidemment concernés au premier degré par ce qui va se passer, mais ils ne peuvent, en tant que minorité, prendre aucune influence directe.

Pour nous, cela signifie deux choses. Cela veut dire que nous devons évaluer notre position correctement, en demandant au bon moment et au bon endroit ce qu’il faut demander, et nous devons surtout essayer d’anticiper ce qui va se passer. Si vous voulez demander une chose au bon moment et au bon endroit, vous devez savoir ce qui se passe aux différents endroits, et c’est pour cela que nous suivons de très près l’évolution des événements. Nous faisons une analyse très précise de ce qui pourraient être les différents scénarios et nous nous préparons à nous positionner à partir du moment où une décision sur une solution possible se dégagera plus concrètement, ce qui n’est pas encore le cas jusqu’à présent ni dans les notes de De Wever, ni dans celles de Vande Lanotte, ni dans toute autre note qui a été mise sur la table jusqu’à présent.

Alors, quelle est notre ambition dans cet Etat belge ? Pour nous, être une partie de la Belgique est devenue, au cours du siècle dernier, la manière la plus intéressante de réaliser notre destin et de prendre notre devenir en main. Pourquoi ? Nous ne nous perdons pas dans un immense Etat de quatre-vingt deux millions d’Allemands où ne serions qu’une quantité insignifiante à la frontière ouest. En Belgique, nous sommes dans une constellation qui est caractérisée par la coexistence de groupes linguistiques différents, dans un endroit où il y a une grande sensibilité pour ce genre de différences. Nous ne sommes pas traités en tant que minorité, comme le sont, par exemple, les cinq cent mille Autrichiens habitant au Tyrol du Sud en Italie (ils le disent eux-mêmes). L’Italie est le grand Etat et le Tyrol du Sud la minorité que l’accident de l’Histoire a fait passer du faux côté de la frontière. C’est ce qu’a dit dans une interview au journal du Grenz-Echo, il y a quelques jours, le Ministre-Président en place au Tyrol du Sud depuis 1990. Ce journal n’est probablement pas lu à Rome, encore qu’avec l’internet, on ne sait jamais…

En Belgique, nous avons un Etat qui est par définition un Etat qu’on pourrait, si on voulait utiliser une expression forte, qualifier de multiethnique. En tout cas, il y a plusieurs régions et communautés linguistiques et culturelles qui coexistent et qui sont constitutives de l’Etat. Quand on vous pose la question « Comment parle-t-on belge ? », vous avez un petit problème. Lorsque, comme cela a été le cas lors d’un débat dans un cadre prestigieux auquel j’ai assisté récemment à Berlin, et au cours duquel on traitait des identités nationales dans une Europe intégrée, on vous pose la question de savoir ce qu’est l’identité belge, vous êtes également quelque peu en difficulté!

Pour moi, l’identité belge c’est fondamentalement cette coexistence pacifique d’identités différentes qui, d’une façon ou d’une autre, parviennent à coexister et vivre ensemble. C’est cela la Belgique ! On n’est pas Belge ou Flamand, Belge ou Wallon. Etre Belge, cela signifie nécessairement et même sémantiquement être soit Wallon, Bruxellois, Flamand ou Germanophone. Il n’y a pas de conflit entre ces dimensions-là. La Belgique est un pays de diversités. C’est en cela qu’elle est un laboratoire extraordinaire et, en tout cas, un réceptacle formidable pour une minorité comme la nôtre. Toute notre difficulté, maintenant, consiste à nous positionner de façon opportune dans ce contexte.

Notre problème est très simple : Ou bien nous existons en tant qu’entité fédérée ou nous n’existons pas. En Belgique, la chose est compliquée, parce que, pour des raisons liées à ce difficile compromis à trouver sur Bruxelles, on a décidé que le niveau des entités fédérées serait, ce qui est unique au monde, réparti entre Régions et Communautés. Alors on a dit : ce qui est lié aux personnes est plutôt du ressort de la Communauté et ce qui est lié au territoire est plutôt du ressort de la Région. C’est de la foutaise. Il n’y a aucune compétence au monde qui puisse se gérer autrement que par rapport à un territoire. La réalité est toute autre.

Ce que les Flamands veulent laisser gérer aux Bruxellois eux-mêmes, cela s’appelle régional. Ce que les Flamands veulent gérer à Bruxelles, cela s’appelle communautaire. Ceci est la raison fondamentale de la répartition des matières communautaires et régionales ! C’est pour cette raison d’ailleurs que la matière des Monuments et Sites a aisément voyagé entre Région et Communauté au début des années quatre-vingts.

Quand on parle actuellement des allocations familiales par exemple, c’est à nouveau cet enjeu-là qui fait surface, et beaucoup de questions sont liées à cela. Et même si c’est très compliqué, je dis toujours quand je présente le modèle belge à l’étranger (notamment dans les pays européens germanophones qui sont d’ailleurs les seuls vrais pays fédéraux que nous connaissions aujourd’hui en Europe à côté de la Belgique) que l’idée d’avoir deux types d’entités fédérées (Communautés et Régions) et, de plus, de les organiser d’une manière asymétrique parce que les Flamands ont arrangé cette impossibilité de coexistence différemment des Francophones, c’est une invention géniale !

La Belgique n’a pu continuer à exister et le fédéralisme n’a pu se créer que parce qu’on a inventé cela. C’est parce qu’il fallait une solution pour Bruxelles (sur papier d’abord en 1980 et en réalité après 1989) qu’on a construit ce montage-là et qu’on a abouti à une solution qui donne d’ailleurs comme résultat une chose qui sort de l’ordinaire.

A Bruxelles, il y a trois entités fédérées qui sont compétentes simultanément : La Région de Bruxelles pour les matières régionales, et alors ce qui est unique, les Communautés française et flamande pour les matières communautaires. Pour les mêmes matières, sur le même territoire, les citoyens peuvent ainsi choisir une école flamande et une maison de repos francophone, sans devoir, d’une façon ou d’une autre, faire définitivement allégeance, ce qui est extraordinaire et, par exemple, tout à fait contraire à la solution qui est retenue au Tyrol du Sud, où vivent 25% d’Italiens. Là-bas, si on est Italien, on ne peut pas fréquenter une école germanophone. Notre système est génial et c’est quelque chose qu’on pourrait très facilement appliquer à Jérusalem. Là, on a une situation un peu semblable, mais nous n’allons pas pousser le sujet aussi loin aujourd’hui. Cependant cette bicéphalité au niveau des entités fédérées est quelque chose d’impraticable, car une politique cohérente nécessite des compétences cohérentes. Les Flamands l’ont d’ailleurs réalisé directement.

Le jour même où furent créées la Communauté et la Région, les Flamands ont décidé de fusionner les organes. Il y a toujours une Communauté et une Région flamandes, mais personne ne s’en rend compte, parce qu’il y a un seul Parlement et un seul Gouvernement. La petite différence c’est que les quelques parlementaires bruxellois flamands qui sont au Parlement flamand ne peuvent pas voter quand sont votés des décrets régionaux en Flandre.

C’est du reste pour cela que l’Enseignement flamand est tellement plus efficace que le francophone actuellement, si on examine les études PISA. Mais ce n’est pas parce que les Flamands sont plus intelligents que les Francophones. C’est parce que, dès le début, par cette façon d’agir, les Flamands ont massivement investi des millions et des millions d’Euros en provenance du financement régional dans leur Enseignement, et l’ont ainsi réorganisé. Les Francophones ont du attendre jusqu’à l’étranglement en 2000 pour pouvoir sauver leur Enseignement de cette dualité.

Qu’a-t-on fait du côté francophone ? On n’est quand-même pas plus bête de ce côté. On a dit : « il nous faut un système un peu similaire à celui de la Flandre sans qu’il soit tout à fait semblable (encore que ce fut controversé à un certain moment,) pour évidemment éviter que Bruxelles soit supprimé ». En effet, si on joue la formule flamande du côté francophone, Bruxelles a un gros problème d’existence. C’est ainsi qu’on est allé vers la recherche de solutions plus complexes, mais finalement fonctionnellement équivalentes.

On a tout d’abord commencé par retirer des compétences à la Communauté française et à les transférer à la Région wallonne, comme le Tourisme, les CPAS, la Politique des Handicapés, la Formation Professionnelle etc., qui restent des compétences communautaires, mais qui sont gérées par la Région wallonne (et à Bruxelles par la COCOF, mais je vous fais grâce de cette complication supplémentaire). Ensuite, et ceci a été fondamental, on a supprimé l’élection directe au Parlement de la Communauté française. On a dit : « Les parlementaires wallons, sauf les germanophones, plus une partie des francophones de Bruxelles forment le Parlement de la Communauté française ». On a dit également : « On peut être Ministre à la fois à la Région bruxelloise ou wallonne et à la Communauté française ». On a alors fusionné les fonctions pour les postes emblématiques de Ministre-Président, Ministre des Affaires étrangères et Ministre des Finances.

Il y a moins spectaculaire, mais beaucoup plus efficace encore : on fait de plus en plus de réunions communes du Gouvernement wallon et du Gouvernement de la Communauté française. Et en 2009 on a voté pour la première fois dans une réunion commune de ce genre, le budget 2010 de la Région wallonne et de la Communauté française. Dans les objectifs à réaliser pour les critères de Maastricht, la Communauté française et la Région wallonne sont toujours mises dans le même pot, et on effectue d’autres genres de passages plus ou moins visibles entre les deux niveaux. On fait donc quelque chose de semblable à ce qui se fait en Flandre pour obtenir la même efficacité. Tout ceci est très bien, mais pose un énorme problème à la Communauté germanophone.

La Communauté germanophone devint Communauté en 1970 et pour tout ce qui était régional, c’est la Région wallonne qui exerçait les compétences en région de langue allemande. Nous avons dit à l’époque que cela ne nous plaisait pas tout à fait et que nous voulions évidemment, pour être cohérents et efficaces, obtenir également la possibilité de gérer d’autres compétences qui sont indispensables. Alors a été créée en 1983 la possibilité de transférer des compétences régionales vers la Communauté germanophone, ce qui provoqua un précédent pour le phénomène inverse qui s’est produit en 1993 pour les transferts de la Communauté française vers la Région wallonne. On a ainsi rendu possible un accroissement des compétences de la Communauté germanophone venant des compétences régionales. Jusqu’à présent ce mécanisme a été actionné trois fois : pour les Monuments et Sites en 1994, pour l’Emploi (important surtout dans le contexte actuel d’élargissement des responsabilités régionales en matières d’Emploi) en 2000, et pour les Communes en 2004. Actuellement, le Gouvernement germanophone veut négocier avec le Gouvernement wallon un transfert complémentaire des matières d’Aménagement du Territoire, du Logement et le reste des Pouvoirs subordonnés, notamment la compétence en matière de Provinces.

Une asymétrie naît donc encore là, mais elle est différente de tout le reste du pays. La difficulté qui apparaît c’est que, chaque fois que la Région wallonne et la Communauté française font des choses ensemble (d’abord il faut s’y retrouver dans cette asymétrie parce qu’ils ne pourront pas le faire pour certaines matières régionales chez nous parce que nous les avons reprises), elles ne pourront pas les faire pour les autres matières communautaires qui sont toujours chez nous parce que, là, ils pourront coopérer en tant que Communauté française et Région wallonne : on est là dans un imbroglio énorme. C’est cela qui nous conduit finalement à dire aujourd’hui, avec le consensus de tous les partis germanophones, qu’en considérant notre expérience de trente années de gestion autonome, en observant vers quoi évolue la Belgique en général (c’est-à-dire vers plus de pouvoirs au niveau des entités fédérées), et surtout en voyant comment se rapprochent chaque jour un peu plus Communauté française et Région wallonne, nous n’avons qu’une seule position raisonnable et logique à prendre, celle d’affirmer qu’aujourd’hui nous sommes prêts et capables de gérer nous-mêmes toutes les compétences que la Belgique a confiées par le passé ou confiera dans le futur aux entités fédérées. C’est, en fait, un plaidoyer pour une Belgique à quatre !

Cela peut paraître très raisonnable et très logique quand on l’expose comme ceci, mais c’est politiquement extrêmement compliqué. Pourquoi ? Les Flamands veulent une Belgique à 2. Ils veulent ignorer Bruxelles ou dire que c’est une histoire particulière que nous cogérons. Les Wallons disent qu’ils veulent une Belgique à 3 : Wallonie, Flandre, Bruxelles, où chacun se situe à parts égales. Pour les Germanophones on trouvera bien quelque chose… Nous disons qu’aucune de ces solutions ne nous convient. Pour nous, il faut être aussi imaginatif en mathématique qu’on l’a été avec la quadrature du cercle pour trouver la solution un peu spéciale pour Bruxelles. Il faut tout simplement dire : 2 + 3 = 4.

C’est la seule vraie voie logique pour arriver à un fédéralisme plus simple et plus mûr. Pour la Communauté germanophone en tout cas c’est, par simple analyse de ce qui s’est passé et de ce qui va se passer, la seule revendication solide que nous pouvons émettre. Bien sûr, on peut nous objecter que nous sommes beaucoup trop petits pour faire tout ceci. Nous pouvons dire que cela ne vous regarde pas, que c’est notre problème. On peut aussi rappeler ce que j’ai dit au début, car je ne l’ai pas dit simplement pour amuser la galerie. Etre grand ou petit ne se décide pas aussi facilement que cela. Si vous vouliez nous céder encore un peu de territoire, Malmédy, Waimes, Welkenraedt par exemple, nous l’accepterions volontiers, mais je ne crois pas que cela se passerait aussi facilement…

Quand on est petit, on a des avantages, on peut faire des choses intéressantes, mais on a aussi ses limites, on a notamment un problème d’effets d’échelles pour gérer un certain nombre de choses, mais là, soyons simplement vigilants et attentifs. Il y a au monde au moins une vingtaine d’entités fédérées qui sont encore plus petites que la Communauté germanophone, par exemple deux parties de l’Etat de la Micronésie, ce qui n’est pas difficile à comprendre, et plus sérieusement, six des vingt-six Cantons suisses. La différence entre le plus petit Canton (Appenzell Innerrhoden) et le plus grand (Zürich) est un peu comparable à la différence entre la Flandre et la Communauté germanophone. Il y a même des Etats plus petits que la Communauté germanophone : le Liechtenstein équivaut à un sixième du territoire de notre Communauté et à la moitié de notre population. N’ayons donc pas de complexes à ce sujet mais trouvons des solutions adéquates. Une solution adéquate pour régler les problèmes de cette dimension réduite pourrait consister en un ensemble d’attitudes.

Je vais être très bref à ce sujet, parce qu’il faudrait une conférence en soi, juste pour montrer que nous avons déjà réfléchi à la question. Quand vous êtes petit, vous devez d’abord voir quelles sont vos points forts : vous pouvez rester proche des réalités, agir vite, travailler sur mesure. Il vous faut vraiment renforcer ces atouts, et surtout faire différentes choses.

D’abord, et cela pourrait faire plaisir à un Chef de groupe du parti libéral, il faut toujours bien réfléchir à la nécessité d’intervenir. Je fais cette remarque car je suis socialiste comme vous le savez, mais sans trop d’a priori idéologiques. Toutes les structures du monde ont tendance à vouloir s’occuper de tout, mais cela mérite vraiment parfois la peine de se poser la question : « Qu’arrive-t-il si nous n’intervenons pas? ». La méthode la plus efficace pour éviter la bureaucratie c’est de ne pas en créer. Il faut donc, quand on est petit, réfléchir à deux fois avant de commencer à vouloir s’occuper de tout. C’est une première démarche.

Une deuxième démarche (ceci est un vrai tuyau en la matière et même une partie du secret de la réussite), quand on est petit, c’est de repenser complètement les synergies entre les différents pouvoirs publics. Chez nous, cela veut dire la Communauté et les neuf communes. Je peux répartir les activités publiques différemment entre ces deux niveaux si je travaille dans un cadre aussi limité. Je peux considérablement simplifier les choses. Je prends un seul exemple.

Vous connaissez tous le système des travaux triennaux pour les routes. Il faut avoir un plan, on va le discuter à la Région, il y a des chipotages politiques, les uns et les autres veulent encore y ajouter des choses, demandent beaucoup pour avoir peu, puis le plan est adopté et tout le monde est un peu frustré parce qu’il n’a pas les routes désirées dedans. Ensuite viennent les dossiers individuels, et on rediscute encore une fois. C’est un processus invraisemblable…Quand nous avons repris la compétence en 2004, nous avons tout simplement supprimé cette façon de faire ! Nous avons dit : « Il n’y a plus de plan triennal, c’est aux communes de décider quelles routes elles veulent faire ou ne pas faire, il faut juste un peu surveiller la coordination ». Nous faisons simplement une dotation d’argent. Nous négocions les critères de répartition avec les communes. Ce n’est pas facile, mais on applique des critères objectifs et une somme d’argent est répartie chaque année suivant ces critères. Mes fonctionnaires de la tutelle surveillent simplement dans les comptes des communes si, au plus tard six ans après, elles ont dépensé l’argent qu’elles ont reçu pour faire des routes. Imaginez la simplification administrative, elle est énorme !

Je peux vous expliquer une autre simplification. Il y a toujours aujourd’hui dans l’Enseignement de la Communauté française cent-vingt tarifs différents pour payer les enseignants. Un jour le Gouvernement germanophone a décidé que c’était trop et qu’il fallait en finir avec ces tarifs ! Tout le monde a dit que c’était impossible, alors j’ai rétorqué qu’on allait voir le contraire. On a réduit ces cent-vingt tarifs à quatre et le monde continue toujours à tourner. Il nous reste quatre tarifs, c’est un peu simpliste, ils sont basés sur les diplômes et rien de plus. On a ainsi supprimé un truc invraisemblable!

Pour le cas où on nous donnerait la compétence en matière d’Aménagement du Territoire, et nous sommes entrain de la préparer très intensément, j’ai une idée. J’ai dit à un des meilleurs juristes en matière d’Aménagement du Territoire, Monsieur François Haumont, qui a d’ailleurs terminé ses études plus ou moins avec moi et qui se trouve en fin de carrière un peu comme moi : « Dans la décennie à venir, à la fin de ta vie, je vais te faire un cadeau parce tu as toujours été très gentil avec moi quand tu étais mon voisin de bureau à l’Université. Toi qui toute ta vie t’es cassé la tête sur le CWATUP, maintenant tu peux écrire le CWATUP de tes rêves et je vais même te payer pour ce faire ! ». C’est rare qu’on soit payé pour avoir du plaisir !

Je me suis aussi intéressé à d’autres régions en Europe, notamment aux petites entités, comme Schaffhausen en Suisse, le Liechtenstein, le Land de Salzburg, le Land de Bavière en Allemagne (parce qu’il fait une révision fondamentale de sa législation sur l’Aménagement du Territoire), pour savoir comment ils font. En Wallonie, il faut quinze ans pour faire un plan d’urgence de modification des zones industrielles. Au Luxembourg cela prend six mois. J’ai dit à mes fonctionnaires qui travaillent sur ce sujet, qu’ils arrivent à un résultat dans un délai de trois mois. C’est cela la vraie compétitivité si on veut aller de l’avant, et cela peut évidemment se faire plus facilement dans une petite entité que dans une grande. En tant que petite entité, on pourrait faire fonction de laboratoire pour l’une ou l’autre chose également. C’est pour cette raison qu‘être petit est parfois intéressant et je l’ai illustré ici en parlant de la manière de répartir les responsabilités entre la Région et la Communauté. Ce Triangle des Bermudes que sont la Commune, le fonctionnaire délégué et le Ministre à Namur, il faut absolument l’éliminer. Il faut obtenir un système tout à fait différent, où les communes ont beaucoup plus de responsabilités, où il y a une seule et vraie instance de révision, et pour le reste, il y a le Conseil d’Etat, parce qu’il faut bien qu’il vive aussi. S’ils veulent vraiment se battre, qu’ils aillent le faire là-bas.

Un autre secret pour dépasser les problèmes d’effets d’échelles manquants quand on est petit, c’est la coopération, surtout la coopération transfrontalière dans notre cas. Nous avons le grand avantage d’être entourés des voisins les plus divers : un pays indépendant, le Luxembourg, deux Länder allemands très différents, la Rhénanie Nord-Westphalie et la Rhénanie-Palatinat, la Province du Sud du Limbourg néerlandais, toute la richesse et la diversité belge. Dans ce voisinage, vous trouvez de nombreuses possibilités de coopération dans des conditions intéressantes.

Quand vous êtes petits, vous avez à acquérir un réflexe qui est différent du réflexe normal. Je l’ai déjà relevé quand je vous ai parlé de bureaucratie. Les pouvoirs publics veulent toujours s’occuper de tout. Ils créent des instruments quand il y a un problème. Dans la meilleure des hypothèses, l’instrument règle le problème. Mais alors il y a un vrai problème, car l’instrument n’a plus de problèmes à régler et il doit donc se chercher de nouveaux problèmes pour continuer à exister. Quand vous êtes petits, votre démarche est différente. Vous avez un problème et vous décidez d’intervenir. Mais alors, avant de commencer à créer un instrument, vous allez voir chez vos voisins s’il n’y a pas une possibilité de coopérer avec eux. Peut-être ont-ils déjà vécu la même situation et sont-ils alors prêts à vous rendre service à un coût marginal. C’est intéressant, évidemment, cependant vous ne pouvez pas passer toute votre vie au crochet des autres. Plus sérieusement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Quand vous avez un projet ou un problème à régler, vous cherchez des synergies ou vous décidez de créer un instrument. Mais avant de le créer, vous allez voir vos voisins en leur demandant si vous ne pouvez pas coopérer avec eux afin de rentabiliser la mise à exécution de ce projet, occuper conjointement des infrastructures, travailler ensemble et ainsi, faire des échanges qui sont très intéressants.

Je prends à nouveau l’Allemagne, qui est quand-même un grand pays voisin, comme exemple. Dans ce pays, la formation des maîtres boulangers et bouchers d’Aix-la-Chapelle se fait aujourd’hui, non pas à 150 kilomètres en Rhénanie Nord-Westphalie, mais à 17 kilomètres de distance, à Eupen. Nous avons monté une infrastructure qui sert également aux Allemands. En contrepartie, nous utilisons leurs infrastructures pour la formation dans d’autres métiers. C’est comme cela qu’on peut agir quand on est petit. De cette façon, il n’y a pratiquement rien qu’on ne puisse aborder même quand on est petit.

Voici ce dont je voulais vous entretenir quelque peu. Je parle depuis 54 minutes et 44 secondes, ce qui est long. Je terminerai donc ici, en vous remerciant tout spécialement pour votre énorme patience.

La Belgique est vraiment un Etat passionnant. Je suis convaincu qu’elle restera demain, comme elle l’a été de toute évidence dans le passé, un modèle de réussite, une success-story comme on dit en nouveau français, pour ce qui est de la coexistence entre des groupes différents. Rien ne se fera tout seul. Il reste encore un grand effort à faire. Et cela sera très difficile pour un tas de raisons. On trouve tous les éléments de solutions dans l’Histoire de la Belgique et dans la façon dont elle a évolué jusqu’à présent. Il faut évidemment aussi un peu d’imagination pour tester si tout cela peut fonctionner correctement ; il est intéressant de n’avoir pas uniquement deux blocs qui s’affrontent constamment, mais d’avoir, à côté de la Flandre et de la Wallonie, deux cas un peu particuliers qui sont les cas de Bruxelles (qui restera un cas particulier et un grand enjeu) et de la Communauté germanophone (qui peut encore apporter son petit grain de sel ). Dans tous les cas, comme je l’ai déjà dit en 1992, la Belgique sera un jour un pays à quatre entités fédérées : La Flandre, la Wallonie, Bruxelles et la Communauté germanophone. J’en étais déjà convaincu à l’époque. Le temps qui est passé depuis ne m’a pas fait changer d’avis.
Je vous remercie de votre bonne attention !